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Face au casse-tête du recrutement de saisonniers, les producteurs de champagne font de plus en plus appel aux sociétés de prestation pour la vendange. Voici comment fonctionnent deux d’entre elles.
Sept cents saisonniers sur le pont ce lundi. Benoît Ferry et Octave Dargent, nez sur l’écran de leur ordinateur ou un de leurs trois téléphones à l’oreille, manœuvrent dans « la tour de contrôle ». Nous ne sommes pas à l’aéroport de Vatry mais au dernier étage d’un bâtiment d’entreprises de Bezannes. C’est là que la société de prestations viticoles G2V Services pilote ses vendanges.
Derrière le plan de travail, un tableau de service à fiches en carton s’étend sur toute la largeur du mur. Dates, noms des chefs d’équipe, des clients, code couleurs, repères : un vrai plan de bataille, augmenté d’un autre tableau, dessiné au marqueur sur l’un des murs. Pour compléter, deux écrans affichent la géolocalisation des équipes de vendangeurs.
« Nous utilisons ce système depuis trois ans, indique Octave Dargent, salarié de G2V, cela nous fait gagner du temps et éviter du stress. » Ou presque. « C’est à Montchenot , pas à Montgenost », répond Benoît Ferry au téléphone. Inattendu : une équipe s’est trompée de point de chute. 1h30 de route à rattraper. C’est l’un des premiers soucis de ce début de récolte dans la Marne où 500 cueilleurs viennent s’ajouter aux 200 déjà en route pour G2V dans l’Aube depuis la semaine dernière.
Facilitateurs
Au total, entre 1 300 et 1 500 travailleurs s’activeront cette année pour récolter 450 à 500 hectares pour le compte de vignerons, coopératives ou maisons de champagne. Il y a cinq ans, à la création de G2V Services, prolongement de l’entreprise personnelle de Sébastien Rigobert, ils étaient 150. « L’élément déclencheur a été la problématique d’accès à la main-d’œuvre sans compter les difficultés administratives et d’hébergement », explique Sébastien Rigobert. Un casse-tête pour les producteurs, pour une quinzaine de jours dans l’année, « mais nous, on en a fait notre métier ».
Contractualisation et définition du cahier des charges de chaque client, conditions sanitaires, accueil des équipes de saisonniers, signature (électronique cette année) des contrats, distribution d’un kit individuel (masque, gel, gants, sécateur…)… G2V veille à tout, avec la rigueur d’un métronome. « Trois salariés sont chargés de contrôler le respect des mesures sanitaires. » Un guide a même été édité.
« Si Sébastien est l’architecte, nous sommes les maîtres d’œuvre », sourit Benoît Ferry, à la gestion logistique pendant les vendanges, viticulteur le reste de l’année. Face au tableau, son binôme Octave Dargent abonde : « On facilite le travail des équipes, on règle les problèmes, on vérifie que les gens sont bien au rendez-vous… »
Expérience
Comme à Mailly ce lundi, dans la parcelle d’une maison rémoise. Une équipe de Polonais s’active. Chapeau vissé sur la tête et bandana remonté sur le nez, Jacek Maciejewski veille au grain. Ce solide chef d’équipe accompagne les vendangeurs depuis cinq ans. « On était un peu inquiets par rapport au virus mais on sait qu’ici, les conditions d’accueil sont bonnes. L’hôtel (à Laon, NDLR) n’est que pour nous d’ailleurs. On vient pour le plaisir », réagit le chef polonais.
À quelques kilomètres de là, Mickaël Cordoin supervise une quinzaine de saisonniers dans une parcelle de Montchenost. Lui aussi est prestataire mais son organisation est très différente. À son compte, cet originaire de Port-à-Binson a créé Presta-Viti Cordoin le 1er janvier 2018. « J’étais ouvrier vitivinicole depuis 2000, je suis issu d’une famille de viticulteurs et j’avais envie d’être mon propre patron. » Fort de son expérience et constatant, lui aussi, la demande de prestation, il s’est donc lancé. Cette année, il compte une petite quarantaine de cueilleurs « des quatre coins de France ». « Ce sont des gens qui font les saisons. » En 2019, il a investi dans un vendangeoir pour les loger. « Cette année, j’ai supprimé trois lits sur vingt pour respecter les normes », explique-t-il en montrant le dispositif pour les sandwichs. Tous les matins à 5 heures, il prépare un kit individuel contenant deux sandwichs, un gobelet, un soda et une dosette de sucre pour le café. « Le matin et le soir, on sert le repas. »
Quentin Housset, du champagne Housset à Savigny-sur-Ardres, présent pour le transport des caisses de raisins, fait appel au prestataire pour la première fois. Son père et lui ont choisi la prestation pour les vendanges il y a sept ans. « C’est un surcoût de passer en prestation mais c’est aussi pour notre tranquillité. On a moins de paperasse à gérer et ça se passe bien. »
Tout n’est pas toujours évident, notamment face aux désistements, mais Mickaël Cordoin ne regrette pas son choix. « On s’entraide entre prestataires lorsqu’on a beaucoup de boulot. Il y a de la demande mais il ne faut pas prendre trop de clients… et connaître son métier », précise-t-il pensant à un candidat à la création de société de prestation se demandant quand avait lieu le liage. Pas très sérieux. « Cela fait 21 ans que je travaille dans les vignes, je pense que ça compte. »